Les nomades pastoralistes au service de l’agriculture paysanne

Publié le par Muriel Kakani




Les pluies de la mousson sont arrivées et une famille de bergers nomades, en quête de pâturages verts pour leur troupeau de moutons et chèvres, s’installe dans un champ aux abords du village de Pangari dans les montagnes du Maharashtra. Après avoir déchargé leurs trois poneys, ils aménagent le campement : deux tentes plutôt rudimentaires pour la saison des pluies. Tandis que les deux hommes se chargent de l’approvisionnement en eau, la seule femme du camp s’occupe de la cuisine : collecter le bois de feu pour la chula (fourneau traditionnel) improvisée. Au menu ce soir, comme chaque soir, du riz et du dal. Mais avant ça, une tasse de thé pour réchauffer tout le monde.

 


Avant la tombée de la nuit, les hommes édifient un enclos pour garer leurs quelques 50 moutons et chèvres. Surprenant, mais l’emplacement de l’enclos est sur un champs défriché où ne pousse pas un seul brin d’herbe.

 

Ne feraient-ils pas mieux de clôturer leurs bêtes sur les pentes vertes de la montagne ?

 

NON !!

 

POURQUOI ??

 


Tout simplement parce que les paysans paient pour faire parquer leurs champs par les troupeaux de bovins et/ou ovins. Pour chaque nuit que le troupeau passe  sur les terres d’un cultivateur, le berger reçoit 200Rs.

 

Alors là, moi qui pensait que seuls les travailleurs d’entreprise se font payer pour leurs prestations de nuit !? Et oui, les moutons aussi !!

 

Et quels sont les services rendus par nos chers moutons ?

 

Fertiliser la terre des cultivateurs. Chaque soir, après une journée passée dans les pâturages de montagne, les ovidés sont parqués sur un lopin de terre pour la nuit. La quantité d’urine et de fientes produites durant ces quelques heures nocturnes est suffisante pour enrichir le sol avant le labourage.

 

Ainsi, après une dizaine de jours dans les champs aux alentours de Pangari, les bergers reprendront la route. Leur prochaine destination : d’autres parcelles à fertiliser. De cette manière, rien du précieux fumier ne se perdra !! 

 


L’Inde possède de nombreuses populations pastorales. Il existe quelques 200 castes de pasteurs nomades qui élèvent toutes sortes d’animaux (bétail, chameaux, ovidés, canards…). Les plus connus de ces groupes pastoraux sont les Rabaris et les Bharwads dans les régions désertiques du Gujarat et du Rajasthan ; les Gaddis et Gujjars dans les montagnes de l’Himachal Pradesh ; les Dhangars dans le Maharashtra, les Konars dans le Tamil Nadu …

 


Dans le passé, une relation d’interdépendance existait entre les nomades et les agriculteurs. Les mouvements des bergers itin
érants coïncidaient avec les cycles de l’agriculture. Ainsi, après la moisson et avant l’ensemencement des champs, les nomades visitaient les villages pour fertiliser les champs. Pour éviter le surpâturage de certaines régions, les routes à suivre par chaque troupeau  étaient définies par la tradition. Chaque groupement possédait ses propres passages.

 

Les nomades pastoraux jouaient donc un rôle important dans l’économie villageoise en convertissant l’herbe des pâturages aux alentours des villages en fumier. Il est estimé que 1000 moutons et chèvres parquées sur 1,32 acres de terre pour 5 ou 6 nuits fournissent assez d’engrais pour 5 ans. Une centaine de moutons clôturés pour un mois donne l’équivalent de 25 charretées de fumier égal à 2500 kg d’excréments.

 

Jusqu’il y a peu, les nomades étaient des invités dont l’arrivée était anticipée avec impatience. Dans le Punjab, les éleveurs nomades en provenance du Rajasthan étaient accueillis avec lait, sucre et blé. Et bien sûr, leurs services honorables étaient récompensés par des payements en cash et en nature.

 

Aujourd’hui, tout est en train de changer. Si dans le passé, les nomades étaient valorisés pour leurs contributions en matière d’engrais organiques, aujourd’hui, ils sont considérés importuns, gêneurs, voir menaçants. Les villageois, qui dans le passé accueillaient les nomades à bras ouverts, demandent maintenant au gouvernement de restreindre leurs déplacements car leurs animaux constituent désormais une menace pour les récoltes.

 

Ce changement d’attitude envers les bergers itinérants s’explique tout d’abord par un changement de modèle agricole. En effet, avec la Révolution Verte, les terres sont rarement laissées en jachère et il n’est désormais plus question de laisser les troupeaux paître dans les champs de culture. De plus, avec la Révolution Verte et la consommation grandissante d’engrais chimique, les cultivateurs n’ont plus besoin des troupeaux d’ovidés pour fertiliser leurs terres. Rares sont les agriculteurs qui continuent à croire la supériorité des engrais organiques.


Avec la disparition des pâturages dû à l’établissement des parc nationaux et réserves naturelles, dû à la construction des routes, à la conversion des pâturages en terres agricoles, à l’expansion des zones industrielles et agglomérations urbaines …, la situation est de plus en plus difficile pour les pastoralistes et beaucoup sont forcés à abandonner leur mode de vie traditionnel pour se sédentariser.

 

Ainsi, la disparition de ces groupes d’éleveurs nomades entraîne, entre autre, la perte de fumier organique très précieux, la dégradation des terres agricoles et enfin, au bout de l’échelon, la détérioration d’une alimentation auparavant saine et nutritive.

 

Muriel Kakani   7/ 17/ 09

 

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J
<br /> <br /> J'ai lu avec grand intérêt votre excellent article : le peuple nomade des Rabaris me passionne et je leur ai moi-même consacré un article, à la faveur d'un de mes dessins ...<br /> <br /> <br /> <br />
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